Attention derrière toi une révolution !
Ah ah non je plaisante. Mais remarquez il n’y pas de quoi avoir peur : toutes les révolutions ne sont pas là pour mettre à bas les dictateurs, il y en a même qui en érigent. Ah le charme des révolutions usurpées ! Mais laissons les de côté pour aujourd’hui, car ce dont j’aimerais vous entretenir est bien plus primordial dans l’Histoire humaine : Mesdames et Messieurs jetons un œil à LA grande révolution qui propulsa l’humanité dans l’âge de la dictature : la révolution…néolithique !
Rappelons tout d’abord le point de vue historique classique selon lequel la révolution néolithique est une révolution technologique (à savoir pour l’essentiel : agriculture, élevage, poterie) qui amena des bouleversements sociaux (sédentarisation, apparition des premières villes, stratification sociale). En bref : la technologie nous tombe dessus, et la société en ressort métamorphosée.
Et maintenant le point de vue subversif : l’humanité n’aurait pas patienté 150 000 ans avant de faire d’un coup toutes ces découvertes. Non durant tout ce temps l’humanité n’aurait tout simplement…pas vu l’intérêt de les faire !
Ce qui vous paraîtra absurde si vous croyez encore à l’image d’Épinal des Cro-Magnon comme pauvres nomades errants, grelottant de froid, traqués par les tigres à dents de sabre et les hyènes et sans cesse inquiets du lendemain, image allant de pair avec celle des premiers fermiers vus comme des pionniers, laborieux bienfaiteurs de l’humanité qui d’invention en invention parvinrent à améliorer son sort.
Il est désormais établi que le tableau est exactement inverse. Les humains préhistoriques vivant de chasse et cueillette connaissaient une espérance de vie de plus de 60 ans[1] et jouissaient d’une assez bonne santé. Pour retrouver un tel niveau, il faudra attendre, en France… le milieu du XXème siècle ![2] Par ailleurs il semble qu’ils disposaient de beaucoup de temps libre… plus que dans nos sociétés modernes (y compris avec les RTT de Martine) ![3] Quant à eux, les premiers humains vivant d’agriculture et d’élevage virent leur espérance de vie chuter à 40 ans, parfois moins. Leur régime alimentaire était moins équilibré et ils souffraient de grave carences nutritives. La concentration des populations dans des villages créa d’effroyables problèmes d’hygiène (liés à la concentration des excréments et des miasmes) avec l’apparition et la propagation de la plupart des maladies contagieuses passées et actuelles. Chaque femme mettait au monde plus d’enfants, avec les risques afférant de mort en couche.
Si la révolution néolithique a rendu si misérables les humains pourquoi l’ont-ils faite ? Et une fois les dégâts constatés, pourquoi n’ont-ils pas fait machine arrière ? Et pourquoi ont-ils prospéré tandis que les bienheureux chasseurs-cueilleurs régressaient au point de ne plus survivre que par poches ci et là ?
L’agriculture et l’élevage ne procuraient qu’un seul avantage, mais il était de taille : un même territoire pouvait nourrir plus de bouches. Il est vraisemblable que la multiplication démographique des premiers fermiers a tout simplement submergé les chasseurs-cueilleurs. Mais ce mouvement une fois enclenché, il était impossible de faire marche arrière : si un territoire qui ne pouvait nourrir que 100 chasseurs-cueilleurs abritait désormais 120 agriculteurs comment rebrousser chemin ? Qu’allait-on faire des 20 individus « surnuméraires » ? Et comment résister à la pression démographique (et probablement guerrière) des villages d’agriculteurs voisins si l’on retournait vers une société de chasseurs-cueilleurs moins dense et moins peuplée ?
En outre, ces changements se sont sans doute produits sur une très longue durée : centaines voire milliers d’années peut-être. D’une génération à l’autre les évolutions ont pu sembler imperceptibles. Et le piège de la vie fermière se referma alors comme un nœud coulant sur l’humanité.
Mais les historiens qui soutiennent cette thèse de l’évolution technologique lente et insidieuse continuent de penser, implicitement peut-être même inconsciemment, que c’est la technologie qui a bouleversé la société.
Or une thèse bien plus subversive imagine que la véritable révolution de l’époque fut…idéologique : s’appuyant sur l’expérience anthropologiques de populations de chasseurs-cueilleurs récentes voire contemporaines, les auteurs avancent que la découverte de l’agriculture et de l’élevage n’est pas fortuite mais volontaire : si les chasseurs-cueilleurs étudiés ne pratiquent pas l’élevage ou l’agriculture ce n’est pas par méconnaissance (ils sont souvent des écologues hors-pair) ni par manque d’inventivité (l’inventivité et l’observation sont le propre de la chasse et partant des chasseurs), c’est par choix. Quelques exemples en attestent : malgré les enseignements et les exhortations de divers missionnaires, les « sauvages » amazoniens refusèrent de pratiquer l’élevage ; malgré le fait que tout s’y prête, que du gibier capturé a été enfermé en enclos et nourri pour faire office de garde-manger sur pattes, le passage à l’étape suivante (sélection et reproduction contrôlée du bétail) ne s’opère pas chez les amazoniens récents.
L’élevage fait horreur aux « sauvages ». L’agriculture céréalière également. Car qui dit élevage dit soumission, contrôle, domination. Comme l’agriculture il implique une sélection des traits physique et de caractère par le contrôle de la reproduction. L’agriculture et l’élevage sont perçus par les « sauvages » avec le même effroi que les consciences occidentales ont pour l’eugénisme.
On a retracé que l’élevage s’est traduit par une diminution sensible de la taille des cerveaux et des capacités cognitives des animaux. De la même manière l’agriculture céréalière a impliqué une telle modification des plantes qu’elles ne sont bien souvent plus capables de survivre durablement par elles-mêmes, sans les soins portés par les humains.[4]
Ce que les pionniers du néolithique ont inventé, c’est l’idéologie qui veut qu’il y est des êtres inférieurs et d’autres supérieurs. Corollaire logique : les êtres supérieurs doivent régner sur les êtres inférieurs. Évidemment, qui ces révolutionnaires ont-ils placé au sommet de la hiérarchie ? L’humain bien sûr. Tout était prêt : il était désormais dans l’ordre des choses que les plantes et animaux soient soumis, contrôlés, modifiés au bénéfice de ceux qui se proclamaient au-dessus d’eux.
Créant du bétail avili et des plantes dégénérées toujours plus dépendants de ses soins, la fraction révolutionnaire de l’humanité néolithique a peu à peu forgé un monde qui correspondait à la vision qu’elle voulait en avoir : vision du monde auto-réalisatrice et auto-justificatrice.
Le chemin dessiné ouvrait la voie : une fois clairement établi l’existence d’inférieurs et de supérieurs il fallait se demander si les humains entre eux n’étaient pas aussi hiérarchisables[6]. Si les hommes n’étaient pas supérieurs aux femmes ? Les chefs supérieurs à la plèbe ? Et vous connaissez la suite.
Finalement ces historiens et anthropologues sont de braves types. Me voilà encore plus attendri que je ne l’étais devant cette noble humanité néolithique !
Ô mes lointains et nobles devanciers ! Comment vous remercier d’avoir su, du tréfonds des âges faire triompher cette révolution idéologique ? Merci mille mercis ! Merci pour la hiérarchie. Merci pour l’ordre des choses. Merci pour la domination. Merci pour ce malheur du plus grand nombre (incluant rien de moins que tout ce qui existe dans l’univers) et la jouissance de quelques uns, intrépides individus devenus – enfin ! – chefs, bientôt rois, et à quelques petits millénaires de là IMPERATOR GALACTICUS !
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[1]Y. Hariri, Sapiens, quelque part dans le chapitre sur la préhistoire (qui est à dévorer)
[2] Il me faut tricher un peu : je ne parviens pas à mettre la main sur l’espérance de vie à un an (foutue INSEE !). Je ne dispose que de l’espérance de vie à la naissance, qui est donc rabotée par la mortalité infantile (je ne saurais dire de combien d’années est le coup de rabot). En attendant cela donne, en 1946, pour les hommes français, une espérance de vie à la naissance de 60 ans. L’espérance de vie indiquée par les préhistoriens (qu’il s’agisse des populations chasseuses-cueilleuses ou bien agricoles) est plutôt une longévité moyenne observée, qui ne tient pas ou peu compte de la (forte) mortalité infantile.
[3] Concernant l’époque de cocagne préhistorique voir Sahlins, Âge de pierre, âge d’abondance, 1976
[4] si vous ne croyez pas votre empereur sur parole, on pourra citer parmi moult autres exemples le cas du petit épeautre
[6]« […][dans un bref article publié en 1962, aussi discret que révolutionnaire […] André Georges Haudricourt […] avance que les relations originelles qu’une société entretient avec les animaux constitue souvent un modèle des relations qu’elle met en place entre humains.[…]par exemple l’exploitation du bétail constituerait une origine de l’esclavage. »
Citation tirée de Baptiste Morizot, Manières d’Être Vivant, p184
citant lui-même André-Georges Haudricourt, Domestication des Animaux, culture des plantes et traitement d’autrui, 1962, article paru dans L’Homme, t.II, n°1, 1960, p40-50
6 réponses sur « NÉO is the new RÉTRO »
Palpatine, votre pensée est décidément aussi hasardeuse que vos agissements politiques ! La révolution néolithique est un concept aussi daté que votre régime dictatorial abject. Mais cela ne vous freine pas pour l’imposer sournoisement à la galaxie entière n’est-ce pas ?
Non mais qui a laissé rentré cette emmerdeuse ?!? Mon empire pour un concierge qui fait son boulot ! On rentre sur ce blog comme dans une étoile de la mort ma parole ! Vador ???? Vador où es-tu vieille carne mécanique ? Viens donc t’occuper de ton engeance !
Tout vous résiste, y compris la vérité ! La période sombre de basculement que vous décrivez est un fantasme de noirceur issu de votre cerveau démoniaque. Les intellectuels sérieux et intègres ne parlent plus de révolution néolithique mais de néolithisation ! Vous rêvez à quelques précurseurs de dictature et de pensée autocratique quand rien ne le prouve !
Ha ha princesse, votre fougue vous aveugle et vous empêche de me lire consciencieusement et d’accepter la terrible vérité : je l’ai dit et écrit : quand bien même la domestication des plantes céréalières se serait étagé sur plusieurs siècles voire millénaires, rien ne vient expliquer pourquoi des humains qui vivaient bien et même aussi bien que ce que l’on peut espérer en ce bas monde*, ce seraient mis un jour à avoir peur de l’avenir et à vouloir constituer des stocks ? à vouloir travailler plus pour garantir un stock de nourriture qu’ils savaient déjà avoir à disposition ?
Qui plus est si Yuval Hariri propose un scénario plausible pour la domestication céréalière « fortuite » étalée dans le temps, je n’ai encore lu aucun scénario de ce genre quant à la domestication animale (pourtant autrement plus ardue et indubitablement plus volontariste). Et encore une fois le scénario d’Hariri ne répond pas à la question du pourquoi ? De la motivation qui aurait poussé les humains à se hasarder dans la culture céréalière ?
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*(longtemps,en bonne santé, en contrairement à ce que l’on s’accroche à croire : sans peur du lendemain, car ces proto-anarchistes réduisaient leur besoin au strict nécessaire, ce qui, associé à un prélèvement parcimonieux mais suffisant du flux de gibier et de plantes et à une faible densité de population, leur garantissait de se remplir le ventre tous les jours, sans qu’il y ait besoin de constituer de stocks)
Hey man, sans dec !
La poto Leia a pas tort… Il y a des subtilités dans la domestication. Celle des bactéries par exemple qui nous prédigèrent ces nouveaux aliments (lait, céréales). Et même tes chasseur cueilleurs nomades modifient leur environnement, se mettent en lien avec lui et sélectionnent ce qui leur est utile. On peut même remonter jusqu’aux loups puisque tu cites Morizot, qui selon les lapons « est nourri par les rennes, et en échange les garde en bonne santé ».
On peut jardiner la nature (bouquin de serge bahuchet, ethnoécologue, » les jardiniers de la nature »). C’est une voie parallèle aux néo et paléo exloitations. Tendre des fils et dialoguer avec le vivant, voilà qui conviendrait aux dieux bâtards que nous sommes.
Puisses-tu un jour voir la lumière du côté clair ! Vive la permaculture planétaire !
Chère créature des abysses naboose,
Il y a différentes formes d’agriculture et d’élevage. Mais justement la néolithisation s’est traduite par le recours aux plus violentes d’entre elles : l’agriculture céréalière d’une part, et l’élevage « total » d’autre part.
Pour ce qui est de la première : Descola (je crois, mes souvenirs sont flous) cite d’autres auteurs qui égrennent par le menu ce qu’implique le jardinage du manioc à la façon des Achuar : chaque plant est individualisé et traité comme un enfant envers qui on a des égards constants, une attention vigilante. En parallèle on reconnaît à cette plante une individualité et une relative autonomie : le plant de manioc pouvant chercher à vampiriser un enfant humain qui viendrait à traîner dans le jardin (en bravant les interdictions qui lui sont faites à ce sujet). L’agriculture céréalière quant à elle sème te fauche en masse : l’épi perd son individualité, le champ n’est plus qu’une masse d’épis. Et toutes les opérations requises violentent la plante : fauche, foulage… Quand la récolte du manioc était entouré d’égards et de précautions vis-à-vis du pied.
Qu’est-ce que j’entends pas l’élevage « total » ?: pas celui où l’on laisse les rennes sauvages rester sauvages avec toute l’intelligence qui va avec, l’humain ne se chargeant que d’infléchir leur comportement par des interactions « diplomatiques » comme les décrit très bien Morizot, mais un élevage d’asservissement où l’on abrutit les bêtes, où on les rend « bêtes » en sélectionnant des individus aux caractéristiques juvéniles donc plus dociles et aux cerveaux moins bien formés (moutons, chèvres, vaches), où l’on va jusqu’à rendre les individus dépendant de l’humain pour leur mise à bas, pour se guider dans le territoire et se prémunir des prédateurs (les isards, les mouflons les aurochs savaient très bien se défendre tout seuls contre le loup !).
Donc oui le jardinage permacole et le pastoralisme sauvage » (le terme reste à inventer, qui s’affranchit du « pasteur ») sont des voies possibles mais je maintiens mon propos : le néolithique signe une bifurcation qui précisément s’écarte de ces voies là, pour aller s’inscrire et s’enfoncer vers des voies de subsistance dénotant d’un rapport au monde faits de dominations et d’asservissements. Il y a bien eu un tournant néolithique. L’agriculture céréalière et l’élevage « total » en étant l’effet et pas la cause selon moi.