À quoi cela sert d’être Empereur s’il faut se mettre à marchander comme un vendeur de tapis dès qu’on a une panne de moteur ?!?
Foutues vacances aux confins de la galaxie !
Hyperpropulseur de mes c***** qui fond une bielle au milieu de nulle part !
Et p***** d’enf***** de planète de contrebandiers de mes deux !
Non mais quelle idée de laisser des systèmes solaires vivoter en-dehors de l’Empire ?! À mon retour je te fais cartographier cette galaxie au cm² et finis les conneries !!!
Mais tout cela à eu un mérite : j’ai dû revoir ma vision de l’activité commerçante.
Je me disais : comment vendre sans s’avilir ? Faire le larbin devant les clients les plus demeurés, jamais décidés, toujours capricieux, qui vous font avaler couleuvre sur couleuvre, ravaler sa fierté pour faire rentrer quelques dinars de plus… Et même quand ils achètent ! Ne méritent-ils pas plus de mépris encore ? Quand on a réussi à les manœuvrer pour leur faire acheter une camelote dont ils ne voulaient pas, qui ne leur servira à rien et qui sera passée de mode ou cassée avant même que son crédit à la consommation ne soit remboursé !
Et comment consommer sans haïr et mépriser en retour ? À l’exacte hauteur de toutes les bassesses commerçantes, à l’aune de la morgue snobinarde du boutiquier de luxe, au miroir de ses propres incapacités pécuniaires ?
Et les uns et les autres ne s’en privent pas.
Et peut-être est-ce encore trop, cette aumône de rancœur mesquine adressée à l’autre.
Moi client, aux boutiquiers je leur jette mes piastres à la tête. Mais c’est encore leur accorder trop d’importance que de leur signifier mon mépris : la plupart du temps je ne daigne pas accorder plus d’attention aux vendeurs qu’à ma carte bleue : ce sont des outils au service de ma consommation, et un bon outil sait se faire oublier : il accomplit sa fonction dans la transparence et l’indifférence de son usager contenté et ignorant de lui, et oublieux même de cette ignorance devenue une seconde nature.
Les vendeurs et leurs algorithmes qui vous nassent du consommateur plus sûrement qu’un banc de sardines ne me contrediront pas ! Des chiffres et des clics : exit cette insupportable humanité !
Ô délices du consumérisme moderne…
Et puis les anarchistes qui rêvent de proscrire le commerce ne m’incitaient pas à affiner mon jugement : après tout adore ce que ton ennemi abhorre !
Mais toute cette belle morale n’est plus… Les contrebandiers me l’ont ravie !
J’ai mesuré combien tout ce que je croyais être intrinsèque au commerce ne l’était pas, ou plutôt ne l’était qu’à un certain type de commerce : le commerce à prix fixe.
C’est que dans mon empire policé (il manque un « i » non ?) le marchandage est devenu rarissime. Mais sur cette îlot galactique de la Tortue ou mon rafiot était en rade je me suis pris de plein fouet cet autre commerce : le prix marchandé.
Cette raclure de garagiste a lésé tout ce qu’il a voulu de ma majesté ! Et son prix était si délirant que même MOI je n’ai pu y couper : soit je négociais soit je devais vendre mon Empire contre un carburateur ![1] L’ordure ! Il m’ a contraint – que la Force me soutienne – à avoir un rapport social !!! Me placer contre mon gré sur un pied d’égalité…avec LUI ! Et ses mains noires de crasse, et son bagout bouseux d’engeance interstellaire !
J’ai compris pourquoi une vraie dictature se devait de prohiber le marchandage : suffit de cet odieux véhicule d’humanité ! J’ai enfin saisi ce que le terme d’échange commercial peut recouvrir d’odieusement social peut-être même… d’égalitaire !
Vite donnez-moi de l’internet ! Une carte bleue ! Une existence de vendeur à annihiler par mon indifférence !
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[1] Mon Royaume pour un cheval…moteur !