Un bon pasteur pour les bons moutons.
Ah les belles métaphores bibliques puisées dans l’univers agricole ! Remarquez Jésus aurait pu en choisir d’autres… parler, je ne sais pas moi… du bon tuteur ? Celui qui aide à croître et s’épanouir et qu’on enlève par la suite quand la plante est assez robuste pour se suffire à elle-même ? Mais non, c’est le berger et ses brebis qui viennent et reviennent dans la bouche du prophète : point d’adultes, ni même d’adulte en devenir : juste un troupeau à guider…
Émancipatrice vous avez dit ?
Il n’est pas innocent que le Créateur soit principalement désigné comme le Père-éternel : cela nous indique en creux le statut assigné aux humains : celui d’éternels enfants. Dans les religions du Livre, personne n’atteint jamais la majorité ! Sans même oser rêver d’émancipation anticipée…
D’ailleurs savez-vous comment l’humain a fabriqué des moutons ? En prenant des mouflons et en ne conservant que ceux qui étaient frappés de néoténie : mot savant-pédant pour parler d’un individu qui même parvenu à l’âge adulte conserve des traits juvéniles, y compris des traits de caractère comme la docilité, ou des inaptitudes aussi : moindre capacité à s’orienter, à se défendre contre les prédateurs (ce qui ne posait aucun problème à un farouche et robuste mouflon). En bref on a consciencieusement rendu le mouflon…bête.
Tous des moutons ?
Il est facile aux bergers de croire que les moutons sont ce qu’ils sont de toute éternité : la sélection génétique qu’ils ont opéré au fil du temps s’est étalée sur des générations et des générations : les moutons qu’ils ont sous les yeux semblent être à peu de choses près les mêmes que ceux qu’ont connus leurs aïeux et aïeules ; quand bien même une bergère aurait elle-même contribué à modifier la race ovine, il lui sera loisible d’en négliger la portée : ces petites altérations de rien du tout ? Comment cela pourrait-il changer durablement tout mon troupeau ? C’est bien pourtant le lent cumul de tous ces petits changements qui a transformé le rétif et fier mouflon sauvage en (relativement) stupide et docile mouton domestique.
Ce n’est pas le mouton qui a fait les bergers, ce sont les bergers qui ont fabriqué le mouton.
https://www.youtube.com/watch?v=F1KEZfjyilo#t=01m24
Ô que j’aimerais croire qu’il en va autrement pour les humains ! Que j’aimerais vous dire que la moutonnerie des masses occidentales est « naturelle » et irrémédiable ! Mais un dictateur ne doit jamais se laisser aller à prendre sa propagande pour la réalité (sous peine de ne plus pouvoir agir efficacement sur cette dernière). Mentir oui, mais y croire soi-même, jamais !
Ce n’est pas la moutonnerie des masses qui permet la domination politique, c’est la domination qui fabrique des moutons humains. Et quand on laisse une idéologie de la domination travailler les esprits pendant plusieurs millénaires d’affilée les « pasteurs » tout comme leurs brebis en viennent à prendre pour éternel cet état servile des mentalités. Alors qu’il s’agit d’une laborieuse construction sociale.
À la rescousse du politique, la religion vient alors s’emboîter dans les schémas mentaux serviles déjà présents, et sans s’en rendre compte, vient les étayer, les renforcer, pour produire des moutons… encore plus moutonnant !
Ce qui renforcera la conclusion dictatoriale : vous voyez-bien qu’ils se comportent comme des brebis qu’il faut guider ! La domination est une prophétie auto-réalisatrice : elle crée les conditions qui la justifient. Avouez : c’est tout de même bien fait…
Retour vers le futur : repasser du mouton au mouflon ?
Et si au lieu d’éduquer tout le monde à suivre et obéir, on éduquait chacun et chacune à s’émanciper, à cultiver et défendre farouchement son autonomie ? Est-ce que l’expérience inverse produirait effectivement des résultats inverses ? Ou bien est-ce une utopie vouée à l’échec ?
C’est bien pire que cela : cela s’est passé et se passe partout sur Terre.
Histoire, anthropologie, sociologie… Maudites soyez-vous ! Triplette d’emmerdeuses ! Empêcheuses d’asservir en rond ! Ah sans elles que nous serions heureux !
Hélas ! Hélas les Jivaros-Shuar et leur libertarisme jalousement défendu…
Hélas la Zomia indochinoise et sa fondrière de peuples qui ont rejeté le joug de l’État et se sont escrimés à se rendre ingouvernables pendant 2000 ans….
Hélas la Suisse (cette Zomia d’Europe) qui ridiculise les velléités impérialistes de ses voisins, et montre que des citoyens qui votent directement leurs lois s’en sortent plutôt mieux que les autres…
Il est désolant de voir des démocrates parfois réussir à retourner contre nous ces belles armes idéologiques que sont les religions du Livre. Mais je me réjouis malgré tout de les voir s’escrimer avec ces lourds glaives ! Croient-ils pouvoir s’en tirer indemnes à invoquer les saintes Écritures, ces armes à double tranchants ? Car ancrée dans le prêche des prophètes, se trouve l’idée, indéracinable dans la pensée monothéiste, du troupeau qui a besoin de son berger.