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Penser le côté obscur

HARMONIE

N’est-il pas plus sympathique de vivre dans la bonne entente et l’harmonie sociale ?

C’est ce que je revendique et m’évertue d’obtenir pour mes chers sujets. Mais on veut troubler leur tranquilité bienheureuse et brouiller la bonne entente qui règne dans l’Empire intergalactique par des menées séditieuses ! À bas ces rebelles ! Engeance fauteuse de troubles !

Qui a intérêt à exhorter le peuple à l’harmonie ?

Après tout l’harmonie s’obtient d’elle-même lorsque tout un chacun est content de son sort. Alors à quoi bon exhorter à l’harmonie ? Il faudrait et il suffirait de rendre chacun content de son sort pour que l’harmonie surgisse et règne d’elle-même.

Mais vous me direz qu’on peut craindre qu’une situation où tout le monde est déjà heureux vienne être pourrie de l’intérieur par des manipulateurs mal intentionnés, brandissant des motifs fallacieux et venant troubler les esprits faibles et influençables ?

Donc suivant cette logique il faudrait empêcher les esprits d’être (mal) influencés ?

Certes la calomnie et le fanatisme peuvent et doivent être combattus légalement, mais je croyais que pour le reste chacun était libre de ses opinions et de sa parole ? Je croyais aussi qu’une démocratie devait compter sur l’éducation[1]

Ceux qui prônent l’harmonie, non pas comme un but à atteindre, mais comme une chose à conserver, disent en sous-texte que les gens n’ont aucune raison de se plaindre de la situation telle qu’elle est, et que quiconque dirait le contraire ne serait qu’un fieffé agitateur venant apporter la mésentente, prélude à l’effondrement du bonheur général qui jusque là était censé rayonner. La conservation de la (supposée) harmonie est donc toujours prônée par les garants de l’ordre établi. C’est-à-dire par les dominants du moment [2]

L’harmonie sociale est antinomique de la contestation, du débat, de la controverse, de la dissension. Quatre notions qui peuvent parfois être (très) désagréables à expérimenter, mais qui sont la démocratie même.

La démocratie est conflictuelle par essence : il est impensable que dans un groupe d’humains surgissent spontanément des consensus à l’unanimité comme tombés du ciel ; bien au contraire les décisions sont le fruit de compromis politiques. Ces compromis se forgent dans le débat et la négociation. Et avant même de trancher une décision, il faut avoir proposer différentes idées, qui elles-mêmes résultaient de différentes perceptions et appréciation de la situation. Or ces idées et ces visions du monde préalables aux décisions sont parfois nées ou ont émergées du débat lui-même : le bouillonnement intellectuel étant permis par la mise en public des idées et leur dialogue (plus ou moins musclé).

La démocratie a ce quelque chose de désagréable et d’âpre, cette part difficile et parfois fatigante qu’on appelle…qu’on appelle comment déjà ? Ah oui la Vie !

Tandis que la dictature est beaucoup plus coulante : il suffit de se laisser guider ! Et alors tout baigne. C’est très reposant. Aussi reposant qu’un sommeil éternel…

C’est ce qui fait que cette pauvre démocratie peine tant à séduire les cœurs ! Qui a envie d’assumer cette part de conflit, de doutes, ces tiraillements et ces mésententes ? Alors qu’il serait si aisé de se laisser aller au monde tel qu’il va et tel qu’il nous incite à aller…

*****

[1] Éducation à l’autonomie, à l’espirt libre et critique. Douce utopie que d’attendre et exiger cela de tous les cerveaux ? Ah mais si vous êtes déjà convaincu de l’indécrottable imbécilité de vos congénères c’est que je n’ai donc plus besoin de vous prêcher la supériorité de la dictature : vous en êtes déjà (plus ou moins ouvertement) convaincu en votre for intérieur ! Mais sans doute aussi que vous n’avez pas bien lu certains de mes précédents articles…

[2] À l’heure où le PCC est en train de consteller la planète de centres Confucius (l’équivalent chinois de nos bonnes vieilles Alliances françaises) il est intéressant de se pencher sur la philosophie de ce personnage central dans la pensée de plusieurs pays d’Asie de l’Est et du Sud-Est. Que prône ce « grand penseur » ? Le retour à l’harmonie cosmique par l’obéissance servile et aveugle à la hiérarchie établie ; hiérarchie devant englober tous les individus dans tous les aspects de leur vie (l’Empereur est supérieurs aux généraux et hauts fonctionnaires qui commandent au peuple ; les parents commandent aux enfants, le mari à sa femme, l’aîné au cadet, l’ami expérimenté à l’ami de moindre expérience (peu importe l’intelligence de chacun sur le sujet en question….) etc.). Ce système de pensée où tout un chacun est trié et hiérarchisé et doit obéir à « l’ordre des choses » est le fruit à la fois d’une tradition de pensée de longue haleine (l’analogisme selon la classification de Descola) mais aussi du cours historique des événements : Confucius (comme Lao-Tseu) vit dans une époque de fractionnement politique de la Chine (les « Cent royaumes combattants ») vécue par lui comme une période de régression en comparaison à la période précédente (premier Empire chinois) et cherche donc à comprendre comment la Chine a pu en arriver là et comment elle pourrait retrouver le chemin de la stabilité et de l’unité. Pourtant comme pour la Grèce des cités antiques ou l’Europe des petits États rivaux, l’instabilité guerrière et politique s’accompagnera d’un foisonnement culturel que la Chine n’égalera jamais par la suite. De là à penser que la diversité et la confrontation sont plus stimulantes que l’homogénéité servile et satisfaite…

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Par Palpatoche

Empereur galactique

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