2009
Un historien anarchiste ?! On aura tout vu !
Comme si cela ne suffisait pas d’avoir écopé de toute une génération d’historiens marxistes voilà qu’un autre extrémisme reprend les armes intellectuelles !
James C. Scott nous dresse le portrait de l’immense massif montagneux niché entre l’Indochine, le Sud-Ouest chinois et le Nord-Est indien. Dans cette zone de collines et montagnes, très morcelée mais grande comme plus de dix fois la France se trouve une énigme historique : un micmac indémerdable de religions et de cultes, de pratiques agricoles et culturelles, de modèles sociaux et familiaux, un méli-mélo de langues et dialectes, un mille-feuilles ethnique indiscernable…
D’où provient ce creuset bouillonnant de peuples (Hmong, Karen, Kachin, Lahu, Wa, Miao…) ? De la fuite et de l’exode, plusieurs millénaires durant.
Vous aimiez Il était une fois l’Homme ? Et toutes ces belles histoires de civilisation qui rayonnent depuis les tréfonds de l’Histoire ? Vous détesterez ZOMIA !
Contre-histoire nuancée, on y découvre que l’apparition des villes et des administrations loin de constituer un « progrès » a bien plutôt constitué une régression quasi totale pour les humains qui tombaient sous la férule des États.
On y découvre comment ces peuples ont forgé des armes sociétales pour se rendre incapturables par un État, voire pour empêcher l’apparition d’un État en leur sein : agriculture itinérante et nomadisme, rejet volontaire de l’alphabétisation, pullulement d’hérésies religieuses, éparpillement de l’habitat, polyglottisme généralisé, mais surtout…
Absence d’identité. Non pas une seule manière d’être : mais un véritable porte-feuille d’identités que l’on dégaine l’une après l’autre au gré des besoins et de ses intérêts. Fluidité maximale. Adaptation extrême.
Dans la Zomia un peuple n’a pas d’ethnie. Ce sont les ethnies qui ont des peuples ! Un individu pourra au cours de sa vie changer plusieurs fois d’identité, épouser telle ou telle tribu. Et se mouvoir fluidement de l’une à l’autre.
Un livre qui détruit méticuleusement nos certitudes. Sans sombrer dans l’angélisme utopique : loin du « bon sauvage » on découvre des peuples parfois esclavagistes, pilleurs ou mercenaires, toujours opportunistes, mais toujours aussi attachés à leur indépendance. Ou plus exactement : tiraillés entre l’assimilation et l’incorporation à l’État et la défense farouche de leur indépendance. Ou plus précisément encore : capable de se mouvoir de l’un à l’autre de ces deux pôles au gré des circonstances et de leur intérêt.
Petit bémol : il est dommage que l’auteur ne précise par le rapport et l’usage que ces peuples farouchement indépendants entretenaient avec la monnaie (en avaient-ils une qui leur soit propre ? usaient-ils ou non des monnaies des États des basse-terre ?).