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LA PUBLICITÉ VOUS RÉGIT

La théorie économie orthodoxe nous dit que la publicité n’est qu’un simple service d’information au consommateur. Nous le savions déjà : les économistes orthodoxes sont d’une mauvaise foi qui frôle la stupidité.

La publicité cherche à influencer le consommateur. Pour lui faire acheter plus, ou lui faire acheter autre chose que ce qu’il aurait spontanément fait, ou changer ses représentations.

Clamer que nous serions imperméables à son matraquage omniprésent est pour le moins osé. Évidemment vous vous dites que VOUS, vous ne vous y laissez pas prendre. Vous avez tort : l’exception, c’est moi, l’Empereur omniscient au brillant cerveau indomptable. Ah ah les andouilles ! Comme s’il suffisait d’une réclame de sabre-lasers écarlates pour aller m’en faire acheter un. Alors que je sais très bien, moi, que je voulais en changer ! Et puis non mais au secours !? Regardez-moi ce vieux laser rubis, c’est sooooo old republic ! 

Hum hum bref…

Des économistes se sont amusé à chiffrer que la publicité ferait augmenter la consommation de 6,8 %[1]. J’aurais dit 6,876 % personnellement, mais bon…

Enfin clamer que les consommateurs ne s’y laissent pas prendre revient à soutenir que chaque année les milliards investis en publicité par les entreprises [2] le sont en pure perte. Il faudrait donc tout à la fois croire les consommateurs parfaitement intelligents et les patrons d’entreprises parfaitement stupides…

Conclusion (divulgalerte)  : la publicité nous influence bel et bien.

La question cruciale serait plutôt : pourquoi nous laissons-nous faire ?

Et l’on retrouve les brillants économistes orthodoxes, qui faute de nous avoir convaincu une première fois changent leur fusil d’épaule : les agents économiques (entendez : nous autres consommateurs) sont parfaitement rationnels (rien que ça !) donc s’ils se laissent faire, c’est qu’ils doivent y trouver leur intérêt par ailleurs.

Et dans ce « par ailleurs » j’ai vu y mettre à peu près tout et n’importe quoi : création d’emplois, financement des médias, financement de services et contenus qui peuvent alors être rendus gratuits au consommateur, épanouissement personnel dans la consommation ou encore défense de la publicité comme produit culturel en soi qui mérite d’exister.

Ce délicieux pot-pourris de balivernes mérite un article entier pour être battu en brèche. Patience !Mais une fois cela accompli, restera entière la question : pourquoi les « démocraties » acceptent-elles la simple existence de la publicité ?

Interdire la publicité, mon Dieu vous n’y pensez pas ?!
Moi non, mais les démocrates non plus ! Surprenant ? Peut-être si vous preniez encore les démocrates pour des audacieux…

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[1] Alternatives Économiques, mars 2021, Et si on imaginait un monde sans pub, page 28. Citant une étude états-unienne portant sur la période 1975-2006 et se fondant sur l’évolution de la consommation des produits en fonction de l’intensité de la promotion dont ils font l’objet

[2]Ibid, en 2018 cela représente 33 milliards d’euros en France soit 1,4 % de son PIB. Au niveau mondial les chiffres seraient de l’ordre de 600 milliards d’US$ soit 0,7 % du PIB mondial (données wikipedia, page en français sur la publicité).

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NÉO is the new RÉTRO

Attention derrière toi une révolution !

Ah ah non je plaisante. Mais remarquez il n’y pas de quoi avoir peur : toutes les révolutions ne sont pas là pour mettre à bas les dictateurs, il y en a même qui en érigent. Ah le charme des révolutions usurpées ! Mais laissons les de côté pour aujourd’hui, car ce dont j’aimerais vous entretenir est bien plus primordial dans l’Histoire humaine : Mesdames et Messieurs jetons un œil à LA grande révolution qui propulsa l’humanité dans l’âge de la dictature : la révolution…néolithique !

Rappelons tout d’abord le point de vue historique classique selon lequel la révolution néolithique est une révolution technologique (à savoir pour l’essentiel : agriculture, élevage, poterie) qui amena des bouleversements sociaux (sédentarisation, apparition des premières villes, stratification sociale). En bref : la technologie nous tombe dessus, et la société en ressort métamorphosée.

Et maintenant le point de vue subversif : l’humanité n’aurait pas patienté 150 000 ans avant de faire d’un coup toutes ces découvertes. Non durant tout ce temps l’humanité n’aurait tout simplement…pas vu l’intérêt de les faire !

Ce qui vous paraîtra absurde si vous croyez encore à l’image d’Épinal des Cro-Magnon comme pauvres nomades errants, grelottant de froid, traqués par les tigres à dents de sabre et les hyènes et sans cesse inquiets du lendemain, image allant de pair avec celle des premiers fermiers vus comme des pionniers, laborieux bienfaiteurs de l’humanité qui d’invention en invention parvinrent à améliorer son sort.

Il est désormais établi que le tableau est exactement inverse. Les humains préhistoriques vivant de chasse et cueillette connaissaient une espérance de vie de plus de 60 ans[1] et jouissaient d’une assez bonne santé. Pour retrouver un tel niveau, il faudra attendre, en France… le milieu du XXème siècle  ![2] Par ailleurs il semble qu’ils disposaient de beaucoup de temps libre… plus que dans nos sociétés modernes (y compris avec les RTT de Martine) ![3] Quant à eux, les premiers humains vivant d’agriculture et d’élevage virent leur espérance de vie chuter à 40 ans, parfois moins. Leur régime alimentaire était moins équilibré et ils souffraient de grave carences nutritives. La concentration des populations dans des villages créa d’effroyables problèmes d’hygiène (liés à la concentration des excréments et des miasmes) avec l’apparition et la propagation de la plupart des maladies contagieuses passées et actuelles. Chaque femme mettait au monde plus d’enfants, avec les risques afférant de mort en couche.

Si la révolution néolithique a rendu si misérables les humains pourquoi l’ont-ils faite ? Et une fois les dégâts constatés, pourquoi n’ont-ils pas fait machine arrière ? Et pourquoi ont-ils prospéré tandis que les bienheureux chasseurs-cueilleurs régressaient au point de ne plus survivre que par poches ci et là ?

L’agriculture et l’élevage ne procuraient qu’un seul avantage, mais il était de taille : un même territoire pouvait nourrir plus de bouches. Il est vraisemblable que la multiplication démographique des premiers fermiers a tout simplement submergé les chasseurs-cueilleurs. Mais ce mouvement une fois enclenché, il était impossible de faire marche arrière : si un territoire qui ne pouvait nourrir que 100 chasseurs-cueilleurs abritait désormais 120 agriculteurs comment rebrousser chemin ? Qu’allait-on faire des 20 individus « surnuméraires » ? Et comment résister à la pression démographique (et probablement guerrière) des villages d’agriculteurs voisins si l’on retournait vers une société de chasseurs-cueilleurs moins dense et moins peuplée ?

En outre, ces changements se sont sans doute produits sur une très longue durée : centaines voire milliers d’années peut-être. D’une génération à l’autre les évolutions ont pu sembler imperceptibles. Et le piège de la vie fermière se referma alors comme un nœud coulant sur l’humanité.

Mais les historiens qui soutiennent cette thèse de l’évolution technologique lente et insidieuse continuent de penser, implicitement peut-être même inconsciemment, que c’est la technologie qui a bouleversé la société.

Or une thèse bien plus subversive imagine que la véritable révolution de l’époque fut…idéologique : s’appuyant sur l’expérience anthropologiques de populations de chasseurs-cueilleurs récentes voire contemporaines, les auteurs avancent que la découverte de l’agriculture et de l’élevage n’est pas fortuite mais volontaire : si les chasseurs-cueilleurs étudiés ne pratiquent pas l’élevage ou l’agriculture ce n’est pas par méconnaissance (ils sont souvent des écologues hors-pair) ni par manque d’inventivité (l’inventivité et l’observation sont le propre de la chasse et partant des chasseurs), c’est par choix. Quelques exemples en attestent : malgré les enseignements et les exhortations de divers missionnaires, les « sauvages » amazoniens refusèrent de pratiquer l’élevage ; malgré le fait que tout s’y prête, que du gibier capturé a été enfermé en enclos et nourri pour faire office de garde-manger sur pattes, le passage à l’étape suivante (sélection et reproduction contrôlée du bétail) ne s’opère pas chez les amazoniens récents.

L’élevage fait horreur aux « sauvages ». L’agriculture céréalière également. Car qui dit élevage dit soumission, contrôle, domination. Comme l’agriculture il implique une sélection des traits physique et de caractère par le contrôle de la reproduction. L’agriculture et l’élevage sont perçus par les « sauvages » avec le même effroi que les consciences occidentales ont pour l’eugénisme.

On a retracé que l’élevage s’est traduit par une diminution sensible de la taille des cerveaux et des capacités cognitives des animaux. De la même manière l’agriculture céréalière a impliqué une telle modification des plantes qu’elles ne sont bien souvent plus capables de survivre durablement par elles-mêmes, sans les soins portés par les humains.[4]

Ce que les pionniers du néolithique ont inventé, c’est l’idéologie qui veut qu’il y est des êtres inférieurs et d’autres supérieurs. Corollaire logique : les êtres supérieurs doivent régner sur les êtres inférieurs. Évidemment, qui ces révolutionnaires ont-ils placé au sommet de la hiérarchie ? L’humain bien sûr. Tout était prêt : il était désormais dans l’ordre des choses que les plantes et animaux soient soumis, contrôlés, modifiés au bénéfice de ceux qui se proclamaient au-dessus d’eux.

Créant du bétail avili et des plantes dégénérées toujours plus dépendants de ses soins, la fraction révolutionnaire de l’humanité néolithique a peu à peu forgé un monde qui correspondait à la vision qu’elle voulait en avoir : vision du monde auto-réalisatrice et auto-justificatrice.

Le chemin dessiné ouvrait la voie : une fois clairement établi l’existence d’inférieurs et de supérieurs il fallait se demander si les humains entre eux n’étaient pas aussi hiérarchisables[6]. Si les hommes n’étaient pas supérieurs aux femmes ? Les chefs supérieurs à la plèbe ? Et vous connaissez la suite.

Finalement ces historiens et anthropologues sont de braves types. Me voilà encore plus attendri que je ne l’étais devant cette noble humanité néolithique !

Ô mes lointains et nobles devanciers ! Comment vous remercier d’avoir su, du tréfonds des âges faire triompher cette révolution idéologique ? Merci mille mercis ! Merci pour la hiérarchie. Merci pour l’ordre des choses. Merci pour la domination. Merci pour ce malheur du plus grand nombre (incluant rien de moins que tout ce qui existe dans l’univers) et la jouissance de quelques uns, intrépides individus devenus – enfin ! – chefs, bientôt rois, et à quelques petits millénaires de là IMPERATOR GALACTICUS !




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[1]Y. Hariri, Sapiens, quelque part dans le chapitre sur la préhistoire (qui est à dévorer)

[2] Il me faut tricher un peu : je ne parviens pas à mettre la main sur l’espérance de vie à un an (foutue INSEE !). Je ne dispose que de l’espérance de vie à la naissance, qui est donc rabotée par la mortalité infantile (je ne saurais dire de combien d’années est le coup de rabot). En attendant cela donne, en 1946, pour les hommes français, une espérance de vie à la naissance de 60 ans. L’espérance de vie indiquée par les préhistoriens (qu’il s’agisse des populations chasseuses-cueilleuses ou bien agricoles) est plutôt une longévité moyenne observée, qui ne tient pas ou peu compte de la (forte) mortalité infantile.

[3] Concernant l’époque de cocagne préhistorique voir Sahlins, Âge de pierre, âge d’abondance, 1976

[4] si vous ne croyez pas votre empereur sur parole, on pourra citer parmi moult autres exemples le cas du petit épeautre

[6]« […][dans un bref article publié en 1962, aussi discret que révolutionnaire […] André Georges Haudricourt […] avance que les relations originelles qu’une société entretient avec les animaux constitue souvent un modèle des relations qu’elle met en place entre humains.[…]par exemple l’exploitation du bétail constituerait une origine de l’esclavage. »
Citation tirée de Baptiste Morizot, Manières d’Être Vivant, p184
citant lui-même André-Georges Haudricourt, Domestication des Animaux, culture des plantes et traitement d’autrui, 1962, article paru dans L’Homme, t.II, n°1, 1960, p40-50