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Pouvoir socio-familial

ET LA GUERRE CRÉA LA FEMME

Avouons-le : il n’est pas une forme de domination qui n’ait l’air bricolée, qui ne soit chancelante, constamment menacée. Pas une ? SI ! UNE ! Irréductible village autocrate qui résiste et défie orgueilleusement l’envahisseur démocrate : la domination patriarcale.

AHHHH ! Ça mes amis c’est solidement charpenté par des millénaires d’idéologie et de pratique, si puissamment ancré dans les têtes, les corps et les mœurs que je souhaite bon courage aux ci-devant démocrates pour aller extirper ces solides racines.

Ce qui me fascine c’est comment diable ma noble gent a t-elle pu ainsi s’imposer presque partout sur Terre ? Car les cas documentés de sociétés matriarcales ou plus ou moins mixtes quant à la répartition des pouvoirs constituent de rares exceptions [1] dans l’océan quasi-universel du patriarcat .

Patriarcat depuis la nuit des temps ?

Les historiennes et préhistoriennes revisitent notre passé pour pourfendre les doux préjugés de notre enfance : cromagnon dérouillant ses femelles cantonnées à la cueillette ou à la grotte à surveiller la marmaille et le frichti de mammouth ? Las ! Un pur fantasme machiste qu’aucune preuve paléontologique n’atteste. Pour l’instant rien ne permet de dire si la préhistoire était patriarcale, matriarcale, égalitariste ou autre !

Les choses se gâtent au néolithique où les squelettes de femmes du peuple témoignent de violences et traumatismes abondants, de carences alimentaires (en protéines notamment) plus fortes que chez les hommes. Le nombre de grossesses augmentent avec la sédentarisation allant de pair avec les morts en couche (facilitées par un possible rabougrissement des femmes). Premières traces connues du patriarcat [2].

On peut donc supposer que le patriarcat naît avec la néolithisation. Mais la démonstration est incomplète. Ses origines pourraient être antérieures. Ou pas !

Et reste la question : pourquoi et comment s’est-il imposé à l’ensemble de la planète ? Que ce soit par diffusion/conquête culturelle (dans une période du passé qui resterait donc à déterminer) ou à plus forte raison si on le suppose avoir été à l’œuvre de tout temps et partout…

Le fait social universel : rarissime et obsédant

Je le répète : la nature humaine n’existe pas. Et l’anthropologie nous le montre clairement : la capacité de l’humain à créer des sociétés complètement différentes dépasse ce qu’aucun d’entre nous n’aurait osé imaginé. POURTANT il existe quelques rarissimes faits sociaux universels : prohibition de l’inceste, existence de règles de « mariage »et de filiation. Ces prohibitions et règles sont dans le détail extrêmement différentes d’une société à l’autre, mais leur existence est systématiquement attestée, sans qu’aucune société ne fasse exception.

Les anthropologues se sont alors échiné à comprendre pourquoi : pourquoi toute société humaine se dote de ces quelques normes sociales universelles ? Présence universelle qui dénote et choque alors que pour tout le reste c’est la dissemblance culturelle qui semble régner sur le globe.

Il fallut trouver une cause impérative pour justifier cette universelle présence : la nécessité sociale de perpétuer le groupe [3].. Ce qui passe forcément par la procréation et de manière moins immédiatement évidente : par l’alliance à d’autres groupes : pour l’espèce humaine comme pour tous les primates, pas de salut sans collaboration (entre individus au sein du groupe, entre groupes au sein de l’espèce).

Et l’alliance ne se forge qu’en nouant les groupes entre eux, par l’échange de partenaires (pour la procréation).

Un seul autre fait social est quasi universel : le patriarcat. Les auteurs postulent donc qu’il a maille à partir avec ce qui vient d’être énoncé. Mais ils croient avoir répondu en disant que ce sont les femmes qui donnent la vie et que ce sont donc nécessairement elles que l’on échange…

Mesdames et messieurs les anthropologues permettez à l’Empereur galactique d’étendre son règne jusque dans votre science : je m’excuse mais vous avez laissé un angle mort, vous n’expliquez pas tout !

En quoi la femme donne plus la vie que l’homme s’il-vous-plaît ? Dirait-on cela des saumons qui femelles comme mâles éjectent leur semence dans la rivière en quantité prodigieuse (puis laissent les embryons se débrouiller) ? Dirait-on cela de l’hippocampe mâle qui porte les petits ? Ou le dirait-on des manchots empereur mâles qui assurent équitablement le soin porté à l’œuf puis au jeune ?

Alors qu’est-ce qui explique que pour sceller des alliances entre groupes humains, la seule solution durable ait été d’échanger des femmes et non pas des hommes ?

La raison je vous la donne : le facteur limitant dans la reproduction humaine c’est le nombre d’utérus disponibles : un seul homme fertile peut féconder de très nombreuses partenaires en très peu de temps, alors qu’une femme ne peut porter qu’un enfant à la fois tout cela avec un de temps de gestation et d’allaitement relativement long.

Les écologues le savent, les historiens des guerres pré-modernes aussi : on ne régule pas une population en tuant les mâles : c’est au contraire le nombre de femelles qu’il faut contrôler pour parvenir à réguler l’ensemble de la population.

Faisons une expérience de pensée : imaginons une humanité où il y aurait comme chez nous à peu près autant d’hommes que de femmes, des gestations de 9 mois, et des allaitements durant de quelques mois jusqu’à trois ans. MAIS imaginons que les hommes ne produisent qu’un seul spermatozoïde tous les quatre ans. Alors ce seraient les hommes qui deviendraient le facteur limitant de la reproduction humaine. Et peu importe qu’ils portent ou ne portent pas le bébé. Fort à parier que comprenant très bien leur rôle crucial de facteur limitant dans la reproduction, de telles communautés humaines verraient alors les hommes comme une « ressource » précieuse : on limiterait fortement leurs chances d’aller se faire trucider (pour éviter de dilapider inconsidérément les capacités de reproduction du groupe). Gageons que dans cette société ce seraient les femmes qui assumeraient l’essentiel de la guerre. Et que ce seraient les hommes que les groupes humains s’échangeraient entre eux.

Je postule donc qu’à l’origine du patriarcat se trouve le fait que les femmes constituent le facteur limitant de la reproduction humaine.

Tout cela possiblement accentué par une possible compétition territoriale entre groupes, exacerbée à compter du moment où l’humanité avait occupé tous les territoires vierges et que les communautés humaines n’avaient d’autre échappatoire que de se heurter les unes aux autres. Époque qui correspond – est-ce un hasard ? – au tournant du néolithique.

CHALK DROP !

Que va t-il advenir de nous Messieurs ? Il est fini le temps où la principale force d’une nation était d’avoir une population importante. On commence même à regarder d’un mauvais œil les pays qui laissent leur démographie galoper alors qu’au même moment l’humanité s’enfonce dans la crise écologique. D’ailleurs les projections annoncent le pic et le début de la décrue démographique mondiale pour d’ici quelques décennies seulement.

Mais je ne m’inquiète qu’à moitié : on l’a vu en occident, même si le contrôle de la fécondité est tombé en désuétude, le patriarcat ne s’est pas effondré pour autant : les féministes ont certes conquis un peu plus d’émancipation mais elles ne se sont pas complètement libéré de notre joug, loin s’en faut. Le train du patriarcat est un lourd véhicule ontologique, lancé à une vitesse folle, vitesse acquise et renforcée au cours de plusieurs millénaires de circulation. Le moteur est en panne ? Et alors !?! Avec l’inertie acquise nous ne sommes pas prêts de nous arrêter pour autant ! Bon courages mesdames les féministes, vous vouliez un monde nouveau ? L’enfantement va demander un travail laborieux…

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[1] La page wikipedia sur le matriarcat me semble manquer de sérieux. on trouvera quelques pistes plus sérieuses dans le livre cité en troisième références. On pourra également consulter le site suivant (Le matriarcat une utopie ?), quoique le propos mérite vérification et approfondissement. Enfin de manière beaucoup plus légère et divertissante mais offrant quelques noms de peuples sur lesquels il faudra s’enquérir : 10 exemples de « matriarcat »

[2] Pour une analyse de la préhistoire et du néolithique voire : Sortir la Femme préhistorique de l’Ombre, Marylène Pathou-Mathis

[3] Citons la grande anthropologue Françoise Héritier : « La parenté est la matrice générale des rapports sociaux. L’homme est un être qui vit en société ; la société n’existe que divisée en groupes, fondés sur la parenté et surmontant cette division originelle par la coopération. L’institution primaire qui ouvre à la solidarité entre groupes est le mariage. Un groupe qui ne compterait que sur ses propres forces internes pour se reproduire biologiquement […je raccourcis car Françoise prend ici des raccourcis gênants…] serait conduit à disparaître […idem !]. L’échange des femmes entre les groupes est l’échange de la vie puisque les femmes donnent les enfants et leur pouvoir de fécondité à d’autres qu’à leur proche [ici Héritier sent que se trouve le nœud de l’Histoire, mais ne va pas jusqu’au bout du questionnement : pourquoi voit-on les femmes comme donnant plus la vie que les hommes ? pourquoi les rôles ne pèsent pas, ne peuvent pas peser pareil ?].
Le maillon fondamental de la domination masculine, articulé sur les contraintes économiques du partage des tâches, est sans doute là : dans le renoncement mutuel des hommes à bénéficier de la fécondité de leurs filles et de leurs sœurs, des femmes de leur groupe, au bénéfice de groupes étrangers. La loi d’exogamie qui fonde toute société doit être entendue comme la loi d’échange des femmes et de leur pouvoir de fécondité entre les hommes [et je réitère ma critique : pourquoi échange des femmes et pas échange des hommes ? Héritier manque ici d’expliciter une caractéristique biologico-écologique humaine essentielle, explicitation qui permettrait enfin d’apporter une lumière complète, voir la suite de cet impérial article !]« . In Masculin/Féminin I, page 232, éd. Odile Jacob, 2002.